- Spoiler:
- Tata Skâ ?
- Oui, mon ange ?
Je rentrais de l’école. Je m’approchais de ma tante et j’éclatai en sanglots. Ma tante me hissa sur le plan de travail et fronça les sourcils. Elle n’aimait pas me voir pleurer, je le savais. Mais je n’arrivais pas à retenir mes larmes. Elles dévalaient mes joues comme les gouttes de pluie coulent sur les carreaux. Tata me donne un mouchoir et caresse mes cuisses pour que je me calme. Elle sait que lorsque je pleure, il faut attendre un peu avant que je puisse parler ; sinon je suis prise de hoquets incontrôlables. Après plusieurs minutes de patience, je parvins enfin à reprendre un peu de souffle et à expliquer mon problème.
- En… en fait… tata je…
- Du calme, respire bien, tu me raconteras tout après… m’apaisa t-elle.
Les larmes redoublèrent et tirer quelque chose de moi devint rapidement mission impossible. Tata continua de faire le dîner pour ce soir, tandis que je reprenais peu à peu mes esprits.
- Tata… j’ai tellement mal, chuchotai-je.
- Où ça, ma chérie ? me demanda t-elle, anxieuse.
- Au cœur… et à la tête…
Je me tapai le front, agacée par cette douleur lancinante qui ne faisait qu’empirer depuis plusieurs jours. Mais la pire des douleurs était celle de mon cœur, qui entrait en résonnance avec celle de mon crâne. Elle resta un moment silencieuse, pendant que je continuais de vider mon corps de son eau. Elle me tendit un verre d’eau fraîche pour que ma gorge arrête de me piquer. Elle me tendit un doliprane avec.
- Pour ta tête, lâcha t-elle.
J’avalai le cachet et attendis que ça passe, les yeux dans le vague, les pieds jouant avec l’air. Je voulais que tata me prenne dans ses bras… je ne savais plus à combien de temps remontait le dernier câlin qu’elle m’avait fait. Je pressai ma poitrine avec ma main pour arrêter la douleur qui criait dans ma cage thoracique.
- Personne… personne ne m’aime tata…
Je ne pus que pleurer encore plus. Skâ repoussa mes mèches et les mis derrière mes oreilles pour qu’elle puisse voir mon visage.
- Si, moi je t’aime.
- Oui, mais il n’y a que toi, hoquetai-je.
Pourquoi personne ne voulait nouer une amitié avec moi ? Pourquoi, pourquoi… ?
- Et tes amis ? Rosalie, Tana, Julie… ?
Je lisais l’incompréhension dans son regard.
- Rosalie me déteste depuis le premier jour… et j’ai inventé les deux autres…
Les larmes ne firent que couler un peu plus. Avais-je un problème ? Oui, c’était certainement ça. J’avais un problème, et tout le monde était au courant sauf moi. On conspirait contre moi, j’en étais sûre, dès à présent.
- Pourquoi tu m’as mentie, Renn ? Tu sais que je déteste les mensonges ! s’énerva t-elle.
Sa colère ne fit qu’aggraver mon cas. J’avais brisé la confiance de tata Skâ. J’étais horrible.
- Tu sais… il se peut que parfois… il y est des personnes différentes, dans ce monde… commença ma tante.
Je relevais les yeux, brillants de larmes, pleine d’espoir. Oui, j’étais différente, c’était forcément ça !
- Et, je pense que c’est ton cas. Mais… comme tu es différente, les gens n’arrivent pas à t’apprécier… parfois aussi, les parents des enfants de ton école ne sont pas très intelligents, et ils mettent des idioties dans la tête de leurs enfants…
Je hochai la tête, un peu rassurée. Skâ se retourna et partit dans le salon. Elle revint rapidement avec l’enveloppe de papier Kraft, marron, que j’avais vue lorsque nous étions rentrées de chez le médecin. Elle sortit des images de tête de squelette et me les montra.
- Tu vois ma chérie, lorsqu’une personne est atteinte d’une maladie mentale, on peut voir un problème ici.
De son doigts, elle me montra la boîte crânienne, là où était mon cerveau.
- Mais toi, tu vois, il n’y a rien de problématique. Tu n’as pas de maladie, tu es normale.
Elle caressa mes longs cheveux blonds et me tendit un autre mouchoir, alors que mes pleurs commençaient à se tarir.
- Toi, tu es seulement différente d’eux, parce que tu n’as pas de parents. Et ils ont de la peine pour toi… c’est pour ça qu’ils ne t’aiment pas, tu comprends ?
Je hochai la tête, compréhensive. Alors ils n’avaient rien contre moi ? … oui, c’était ça.
- Merci, tata Skâ. Je t’aime… Tu me fais un câlin ?
- Tu es trop grande pour ça, voyons ! s’amusa t-elle en m’ébouriffant les cheveux.
♣♦♠♥
Le temps passa et mes craintes s’envolèrent rapidement. Lorsque je passai au collège, pour vers mes onze ans, je me fis quelques amis. Ils me prenaient certes un peu pour une folle, certains de mes propos devaient être choquants, mais tout s’arrangea. Je grandissais et je commençais à me forger une carapace. J’avais cependant gardé mon caractère paranoïaque et j’étais souvent sur mes gardes. Je ne dévoilais jamais tout à mes amis, pour garder une carte dans ma manche si quelque chose se passait. Mais quoi ? Pourquoi ne pouvais-je pas me confier comme une personne normale ? Peut-être parce que je n’avais confiance qu’en ma tante, Skâ, qui m’aimait de tout son cœur. Mais mes amis, Jack et Naomi ne me demandaient pas plus que ce que je leur confiais. Ils savaient qu’un jour, peut-être, je leur dirai toute la vérité sur moi…
~ Cher Journal,
Si Renn continue comme ça, je vais être obligée de lui dire toute la vérité. Pourquoi lui ais-je menti ? Je ne l’aime pas. Je ne l’ai jamais aimé. Ce n’était que pour ma sœur, que j’ai accepté de l’accueillir.
Mais la plus grosse bêtise que j’ai fais, c’est certainement dire à Renn que ses camarades ne l’aimait pas à cause de son absence de parents. Non, bien sûr, ce n’était pas pour ça.
Renn était quelqu’un de très agréable, lorsqu’elle était petite. Mais lorsqu’elle est passée au primaire, elle avait souvent des accès de colère. Elles mordaient ou griffaient certains élèves, mais elle trouvait ça presque… normal. Je ne m’inquiétais pas aux premiers abords, n’était-ce pas normal pour des enfants de se battre ? Et puis ce n’était pas comme si elle mordait ou griffait comme un loup. C’était généralement quelques bobos, mais rien de très grave. Et n’ayant jamais vraiment élevé d’enfants, je ne savais pas si je devais m’en inquiéter ou non.
Nous sommes tout de même allées passer un scanner qui révélait rien d’anormal. J’aurai presque préféré que si, car son comportement changea au cours de ses années collégiennes. Elle devint agressive et possessive, et sa paranoïa grandissait de jour en jour. Elle avait des amis qui l’aimait beaucoup, et c’était bien les seuls avec qui elle était à peu près normale. Dès que quelque chose venait la contrarier elle était capable d’une grande violence.
Je l’ai même trouvée à se scarifier, une fois. Elle avait le couteau dans la main et elle traçait des zébrures le long de ses bras et de ses jambes. Même si je l’ai toujours haïe, je ne pouvais pas la laisser se faire du mal. Plus les jours passaient et plus elle se sentait coupable de la mort de sa mère. Evidemment, je ne la contredisais que très peu sur ce sujet… mais si j’avais su où cela nous aurait mené, je l’aurai rassurée.
Je la voyais souvent, lorsqu’elle pensait être seule, assise à son bureau, les mains dans les cheveux, la tête baissée, les coudes appuyé contre la planche.
Elle maugréait souvent, toute seule… « ils complotent, ils sont là, ils me regardent… »
Je crois qu’elle me fait peur.
Extrait du Journal Intime de Skâ Vane.
Ce n’était pas ma faute, non, non, pas ma faute. C’était elle… elle l’avait laissé, sous mon regard, sur la table. C’était la première fois que je le voyais, j’étais curieuse, c’est tout… oui, c’était ça. Juste de la curiosité. Et puis, connaître les pensées les plus profondes de ma protectrice était ce que je désirais plus que tout au monde.
L’affreuse vérité m’était apparue dès la première ligne. Je cherchais une fin heureuse, mais je n’en trouvais pas. Oui, j’avais lu le journal intime de ma tante. Oui, c’était mal. Mais… je ne savais pas que ses pensées étaient si… horribles, monstrueuses.
Je passai mes mains dans mes cheveux et mes larmes coulèrent. Skâ…
Les clés tournèrent dans la porte et j’entendis ma tante rentrer dans l’appartement.
- Coucou Heather, c’est moi !
Ah oui. Depuis quelques temps, ma tante se mettait en tête de m’appeler… Heather, mon deuxième prénom. Elle ne voulait pas que je sois Renn. Renn, s’était celle qui avait tué sa sœur. Heather, c’était sa fille… enfin, j’en étais arrivée à cette conclusion après plusieurs longues minutes de réflexion.
- Renn, corrigeai-je entre mes dents.
Mais lorsque Skâ passa le pas de la porte, je perdis tous mes moyens. Les larmes que j’avais essayé de sécher tant bien que mal ne firent que devenir plus nombreuses. Elle lâcha ses sacs de course lorsqu’elle vit son journal par terre, ouvert sur une page pliée.
- Qu’est-ce que tu as fais ?
Oui, je voyais l’horreur peinte sur son visage. J’avais percé son petit secret…
- C’est bon, tu n’as plus besoin de faire semblant…
Je paraissais faible. Je
pleurais pour un être qui n’en valait pas la peine.
- Tu ne m’as JAMAIS aimée ! hurlai-je. Jamais, jamais… répétai-je.
- Non. Je t’ai toujours haï pour la vie que tu as prise à ma sœur, lâcha t-elle. Je pense tout ce que j’ai pu écrire dans ce livre et je ne regrette rien.
Le lire, c’était quelque chose. Mais alors l’entendre de sa bouche… cette tante que j’avais tant aimé !
- Tu m’as fais croire à ton amour… pourquoi ? Pourquoi avoir pris tant de peine ? criai-je.
Elle s’avança mon ramasser son journal intime. Elle le jeta sur la table, tandis qu’elle reprenait ses courses. Elle les posa près de son cahier et me regarda. Non, effectivement, elle n’était pas étouffée par les remords.
- Je l’ai fais pour ma sœur.
J’étais brisée. Une fois de plus. Je n’avais pas d’amis réels sur qui compter, pas de parents, ni de famille pour m’épauler, pourquoi tant de haine, bon sang !
- On va bientôt pouvoir manger, j’ai commandé des pizzas.
Il fait noir. J’ouvre les yeux. J’ai mal à la tête. Je cherche à tâtons la porte : je peux la voir grâce à la lumière de la fenêtre. Je m’approche, appuie sur l’interrupteur pour allumer la lumière et il fait jour dans la pièce. Tout est renversé. Il y a des débris par terre. Et j’ai les mains pleines de sang. J’ai du verre coincé dans ma peau. Mais ce n’est pas ça qui fait le plus mal. Bien entendu, je sens la douleur. Pas comme dans les films où le mec se pète la jambe mais, oh, miracle, il marche encore. Non, là j’ai vraiment mal. Mal aux mains, aux genoux, aussi, et au ventre… j’ai une estafilade, et le sang coule, coule. Mais j’ai plus mal au cœur qu’autre chose, en fait. J’ai besoin de vomir. Mais rien ne sort.
L’odeur du sang m’enivre. Je me lève tant bien que mal, mes genoux tremblent, mon jean est déchiré. Je me traîne presque vers la cuisine. J’ouvre le frigo, mes doigts laissent des traces de sang, et à chaque mouvement que je fais, mon crâne semble se fissurer. Je prend la bouteille de jus d’orange et je bois. Je bois longtemps, sans m’arrêter, presque pour m’étouffer.
Mais cette occupation ne va pas pouvoir durer toute la nuit. Je laisse tomber la bouteille : je ne pourrai pas en reboire, de toute façon. Il faut que je vois. Il faut que je
sache. Je retourne lentement au salon, en me traînant tant bien que mal sur mes jambes maladroites. Je bute sur des objets tombés : une lampe, des stylos, un pot, une boîte, un carton de pizza… de la pizza, même, par terre, sur la moquette. Je vois la table de verre retournée et brisée… c’est de là que viennent mes blessures. Je m’approche, lentement, mais je ne vois aucun corps entre les parois de fer qui tenaient le verre. Je regarde vers le canapé, il est retourné… mon dieu, si vous existez, qu’ais-je fais ? Je ne me souviens pas… comme si mon cerveau de voulait pas savoir. Il devait éclipser les moments qui ne lui plaisaient pas… et si… si lorsque j’étais plus petite… si j’avais fais la même chose, mais sur des élèves ? Cela expliquerait donc les comportements étranges des élèves… je me prends la taille entre mes mains ensanglantées. Appuyer sur les morceaux de verre m’arrache un petit cri. Et si… et si Skâ était morte ?
- Elle te haïssait, ne pus-je m’empêcher de détailler à voix haute.
Oui, oui, elle me haïssait. Qui s’y frotte s’y pique. Je titubai jusqu’au canapé renversé et je trouvais Skâ, étendue sur le sol, les yeux ouverts, la respiration sifflante, mais en vie. Elle leva les yeux vers moi, et je sentis les sanglots étouffer ma respiration. Non, je ne pleurerais pas devant elle. Elle me haïssait, elle me haïssait… j’étais grande, j’avais dix-sept ans, je ne pleurerais pas. Je m’agenouillais près d’elle et repliai ses bras sur sa poitrine. Elle avait de nombreuses blessures un partout sur le corps, mais son visage n’était pas touché. Du sang coulait de son crâne mais ce n’était pas visible dans l’angle où j’étais ; je détestais voir les blessures des autres.
- Je… t’ai… toujours… haïe… siffla t-elle.
- Je sais. Pas la peine de te répéter.
- Mais… tu ressembles… beaucoup à… ta mère…
- Tais-toi.
Je ne voulais pas entendre plus. Je voulais boucher mes oreilles et ne plus jamais l’entendre parler. Je voulais qu’elle meurt, vite, et en silence… ou j’allais éclater.
- Pourquoi ne m’as-tu jamais aimée ?
- …
- Skâ ?
- …
Ah. Merde. Elle est morte.
Et j’ai vécu tout le reste de ma vie dans un trou noir, sans fond et sans lumière. Je suis restée dans cette maison trois jours. Ensuite les gens ont commencé à s’inquiéter… et puis la police a débarqué. Je n’ai pas très bien compris ce qui s’est passé ensuite. J’ai été trimballée de commissariats en prisons, et puis je tombée sur cette fichue île… je suis arrivée en bateau, mais je serais bien incapable de vous décrire autre chose. Là, je suis devant les énormes portes… là je commence enfin ma descente en enfer.
TOPO ; bon, pour ceux qui auraient pas compris – même moi j’me suis un peu perdue xD - , Renn n’est pas folle, seulement un peu dérangée. Elle ‘’ classe ‘’ ses souvenirs et refuse de se souvenir des mauvais ( lorsqu’elle a tué sa tante, lorsqu’elle faisait du mal à ses copains, lorsqu’elle était enfermée … ) . Elle est aussi un tantinet paranoïaque. Elle n’a jamais eu d’amis, je pense que Jack était une sorte… d’invention de sa part, comme avec Rosalie et les autres ( sauf que là elle en était consciente ). Des amis imaginaires, en quelque sorte. Sa tante ne l’a jamais aimée, elle n’a fait ça que pour sa sœur, et elle était heureuse de mourir ( c’était pas très explicite xD ). Renn a beaucoup de remords quant au meurtre de sa famille, mais elle le vit tout de même bien… x)